Sur le seuil
Dans la prière eucharistique le " nous " rappelle que
je ne suis pas le seul à célébrer. Ce " nous
" me dépasse, il me rappelle que nous tous sommes
invités à vivre, à partager, à mettre
en commun nos joies, nos peines, nos rencontres, nos questions.
C'est pourquoi j'aime me tenir au seuil de l'église
à accueillir les gens, les saluer, intérioriser
leur visage pour faire corps avec eux, avec tous, y compris avec
les enfants. Nous avons à cœur de permettre aux
enfants et aux parents de se sentir accueillis, reconnus, en
n'éloignant pas systématiquement les petits au
moindre cri ou va-et-vient dans l'église. Sur le secteur
chaque mois, un temps de partage pendant la messe est
proposé aux enfants de même qu'un temps
d'éveil à la foi vécu avec les parents et
suivi d'un goûter.
S'il fallait dire en deux mots ce qu'est la
célébration eucharistique aux enfants, je dirais
que si, à la maison on prie seul, en famille, le dimanche,
l'Eucharistie est un temps de prière avec les
chrétiens du secteur. C'est dire 'Merci', partager, vivre
ensemble la Bonne Nouvelle de Jésus. Plus tard, les petits
comprendront que ce temps que nous n'aurons jamais fini de vivre
est aussi un moment où l'on vient déposer nos
fardeaux, partager la table du Seigneur qui vient à notre
rencontre.
Le lieu de présidence n'est pas le seul lieu
d'où je me place car je ne préside pas ni ne
concélèbre tout le temps ; j'ai besoin de vivre
l'Eucharistie au cœur de l'assemblée car je
reçois aussi.
Dans le secteur pastoral important confié à
notre équipe, la grande église encore
récente rassemble beaucoup de monde. C'est une
assemblée jeune, en particulier des couples avec des
landaus. Nous sommes en Ville Nouvelle et cela se voit. J'aime
cette assemblée en forme de patchwork ; dans notre
diversité la communauté en train de se faire se
compose de gens d'origine française et surtout de l'Asie -
Indiens, Vietnamiens, Chinois - et aussi d'Afrique - Ivoiriens,
Congolais et autres - et des Antilles. Des passants, des
touristes ou des salariés d'EuroDisney y viennent
aussi.
Ceux
du dehors
Une chose est certaine, ma position de prêtre au travail
ne laisse pas indifférent. On m'a confié une
mission dans la ville, celle de m'impliquer dans l'ensemble
urbain en plein développement pour y rencontrer
également ceux qui ne viennent pas à
l'église. La mission auprès de ceux qui sont loin
de nos communautés et l'Eucharistie ne vont pas l'un sans
l'autre. De même qu'il ne peut y avoir de dernier repas
sans le lavement des pieds, de même nous ne pouvons
célébrer que parce que nous avons cheminé
sur les routes du monde, comme pour les disciples d'Emmaüs.
Il nous faut cheminer, prendre la route, écouter, se
laisser questionner, laisser résonner en nous la vie de
nos compagnons, partager la table et y reconnaître la
présence du Ressuscité parmi nous, mais ne pas
s'attarder ; reprendre son bâton pour témoigner.
Depuis ces derniers mois, avec l'obtention d'un travail
après un période de chômage, ma perception de
l'Eucharistie change, elle prend d'autres couleurs. C'est elle
qui unifie toute mon existence qui pourrait sembler
éclatée. J'y apporte ma propre histoire et les
événements de tous les jours de même que les
gens viennent en apportant tout ce qu'ils sont et ce qu'ils
portent au quotidien. Facteur, je découvre la Ville
Nouvelle, de l'intérieur, en circulant à travers
ses rues, son histoire, à la rencontre de l'homme de la
rue, dans son travail, dans son quartier, au pas de sa porte.
L'horizon de ma prière s'élargit au fur et à
mesure que je m'enracine dans la Ville Nouvelle. Pour le dire
avec G.-M. Riobé qui portait haut le souci de rassembler
à la fois les hommes et femmes de sa connaissance et
l'ensemble de sa ville qu'il regardait s'illuminer : " Je laisse
retentir dans ma conscience - ce creuset où la foi devient
vie, où l'espérance mûrit, où la
charité se réalise - les hantises et les ferveurs
de tout un peuple. " (1)
Décalage
Est-ce parce que mon expérience de pasteur est encore
débutante, est-ce parce qu'il me faut encore gagner en
profondeur dans la méditation du mystère de notre
foi porté à son sommet dans le sacrement de
l'Eucharistie ? Je ressens comme une impatience. Le plus souvent
les gens sont côte à côte, se parlent sans se
parler et ne se connaissent pas vraiment. Et je ressens comme un
décalage. A cause de la rigidité de certaines
prières qui ont trop peu de rapport avec le temps
présent. A cause de la formulation des prières
présidentielles dans un vocabulaire que les gens ne
comprennent peut-être pas. Cela provoque un décalage
du prêtre par rapport à l'assemblée qui me
pèse encore. J'ai l'impression que les textes du missel
sont fixés une fois pour toute, qu'il ne faut plus y
toucher. Or, depuis la rédaction des prières, nos
communautés ont évolué, et je ne suis pas si
sûr que tous comprennent les prières que nous
adressons au nom de tous. Je ressens une certaine
frilosité dans toutes les propositions d'animation
liturgique par différentes revues ou groupes ; on manque
d'audace. L'Eucharistie est un engagement, une participation
à une rencontre, mais nos assemblées sont
statiques. Ne pourrait-on pas s'inspirer de la fraîcheur
des premières communautés comme celle de Justin
à Rome ? " On apporte du pain avec du vin et de l'eau.
Celui qui préside fait monter au ciel les prières
et les actions de grâces autant qu'il a de force, et tout
le peuple répond par l'acclamation Amen. "(2) Celui qui préside improvise la
prière eucharistique autant qu'il le peut et dans le
moment présent. Justin poursuit : " Puis a lieu la
distribution et le partage des aliments consacrés à
chacun et l'on envoie leur part aux absents par le
ministère des diacres. Ceux qui sont dans l'abondance, et
ceux qui veulent donner, donnent librement chacun ce qu'il veut.
Ce qui est recueilli est remis entre les mains du
président, et il assiste les orphelins, les veuves, les
malades, les indigents, les prisonniers, les hôtes
étrangers, en un mot, il secourt tous ceux qui sont dans
le besoin ". Le secours des pauvres que l'on retrouve dans toute
la première littérature chrétienne nous
rappelle que l'Eucharistie concentre trois éléments
traditionnels : la Parole, le pain et l'entraide communautaire.
Si j'exprime quelque impatience, c'est précisément
devant nos communautés rassemblées où l'on
sent trop peu un programme à l'œuvre. Les gens ne
bougent pas et leur participation par les seules formules ou Amen
paraît insuffisante au moins pour les chrétiens
venus d'Afrique. Nous avons encore à inventer le moyen de
faire droit à la fois à la réserve des
Asiatiques et à l'expression corporelle attendue par
d'autres ; tout cela afin de dynamiser les
célébrations au service de la communion.
Faire
mémoire
d'un don
Depuis que je célèbre devant l'assemblée,
j'ai découvert la prière en trois personnes.
Spontanément, hors liturgie, je prie le Père et le
Fils ; les prières liturgiques me font prendre la
dimension que donne l'Esprit-Saint. L'Esprit nous met en garde
contre toute tentation de réduire le mystère. Par
exemple celle que je note auprès de certains jeunes qui
demandent l'adoration du Saint-Sacrement, souvent
présentée comme la prière idéale. Nos
frères orthodoxes, qui ont une belle dévotion
à l'Esprit-Saint, ne connaissent pas l'adoration
eucharistique. Peut-être n'y a-t-il pas assez de
propositions faites aux jeunes. Peut-être que nous ne
savons pas nous y prendre pour aider à prier, à
trouver un moyen d'exprimer leur attente. Qu'avons-nous à
leur présenter ? S'ils connaissent la prière de
Taizé, très peu ont fait l'expérience d'un
monastère ou d'un carmel.
Dans l'eucharistie nous faisons mémoire pour
aujourd'hui d'une vie donnée pour nous. Un don, un amour
qui va jusqu'à la mort pour mettre un terme à la
haine et à l'engrenage de la violence. Un moment m'est
particulièrement cher dans la liturgie, quand
j'élève les offrandes au nom de tous et aux yeux de
tous : " Tu es béni Dieu de l'univers toi qui nous donnes
ce pain, ce vin, fruit de la terre et du travail des
hommes… ". A l'heure de la mondialisation, je
présente à Dieu le monde, la vie des hommes et des
femmes sans fard, avec leurs joies, leurs doutes, leurs cris de
révolte, leurs détresses. " Ils deviendront pour
nous le pain de la vie et le vin du royaume éternel " :
célébrer le mystère pascal c'est
reconnaître que l'Amour a déjà mis en
perspective toute notre histoire habitée par ce que nous,
les chrétiens, nous appelons l'espérance et que le
monde connaît encore trop peu.
Photo Communauté Mission de France
Jean-Marc Galau
Extrait de la Lettre aux Communautés de la Mission de
France N° 231 - Juillet août septembre 2005
- Guy-Marie Riobé Prier dans la ville,
Revue Carmel, numéro 4, 1977
- Justin de Rome Première Apologie
§ 67, adressée au successeur l'empereur Hadrien,
Antonin le Pieux (138-161).
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Shaddaï (l'association
des sourds catholiques) propose une initiation